Le 3 avril dernier, la conférence Grand Angle Lait 2025, organisée par l’Institut de l’Élevage en partenariat avec le CNIEL et la CNE, a rassemblé les principaux acteurs de la filière laitière à Paris et sur plusieurs sites régionaux. Cet événement a permis d’aborder les enjeux techniques, économiques et environnementaux du secteur laitier, tout en mettant en lumière des solutions innovantes pour répondre aux défis actuels.
Économie laitière : un marché mondial dynamique porté par la demande en beurre
L’année 2024 a été marquée par une forte dynamique sur le marché mondial du beurre, stimulée notamment par une demande soutenue des États-Unis. Cette pression a entraîné une hausse significative des prix, qui a entraîné des répercussions positives sur les marges des producteurs. En France, la collecte laitière a progressé d’environ 1 % à fin octobre 2024, portée par une excellente qualité des fourrages récoltés en 2023, ce qui a permis une hausse du rendement apparent de 4,9 % par rapport à 2023, atteignant 7 700 kg par vache laitière et par an (Source : GEB – Idele d’après Eurostat et FranceAgriMer).

Cette progression a toutefois été freinée à partir de septembre dans les régions du Nord et de l’Est en raison de la fièvre catarrhale ovine (FCO). Par ailleurs, le secteur biologique reste en difficulté, avec une baisse continue du cheptel laitier. Sur le plan des fabrications, la France a produit moins de poudres et de beurre, mais a augmenté sa production de fromages, crème et produits ultra-frais. Les prix des produits laitiers à la sortie usine, ainsi que les prix de vente aux consommateurs, ont légèrement progressé, notamment pour le beurre.
Performance technico-économique : des revenus en hausse mais des disparités croissantes
Entre 2014 et 2022, les exploitations laitières françaises ont connu une tendance générale à la hausse de leurs revenus, portée par plusieurs facteurs clés : le prix du lait, les gains de productivité, la conjoncture favorable des grandes cultures, ainsi que la gestion des aléas climatiques. La flambée des coûts de production en 2022 a été en grande partie compensée par des prix du lait et de la viande élevés.
Cependant, cette période a aussi vu un accroissement des écarts de revenus entre différents systèmes de production, notamment entre zones de plaine et de montagne, ainsi qu’entre filières biologiques et conventionnelles. Le capital d’exploitation (foncier, bâtiments, cheptel, matériels…) a augmenté de 21 % en sept ans (Source : GEB‐Institut de l’Elevage d’après Inosys Réseaux d’élevage), mais cette croissance s’est accompagnée d’une baisse de la main-d’œuvre exploitante, posant des questions sur la transmissibilité et l’attractivité du métier. La robotisation a connu une montée en puissance significative, doublant le recours au salariat et augmentant la productivité par unité de travail humain et par vache. En montagne, hors zones AOP de l’Est, les exploitations sont pénalisées par des surcoûts de production et une valorisation insuffisante du lait. En 2024, les coûts de production se sont stabilisés malgré la hausse des fermages, du SMIC et de l’électricité, grâce à une baisse des prix des engrais, aliments et carburants. Le prix du lait français reste inférieur à celui de l’Europe du Nord-Ouest, où il dépasse 550 €/tonne, contre 439 €/tonne en France (Source : Commission européenne DG AGRI RICA UE). La productivité atteint des niveaux remarquables au Danemark, soulignant les marges de progrès possibles.
Renouvellement des actifs et organisation du travail
Comme nous l’avons évoqué dans l’article sur le renouvellement des générations, le secteur laitier n’est pas épargné et connait lui aussi une transformation profonde liée au renouvellement des générations et à l’évolution des modes d’organisation du travail. La vague démographique des départs à la retraite des éleveurs, particulièrement marquée dès 60 ans, s’accélère dans un contexte économique plus favorable, ce qui favorise la robotisation et le recours accru au salariat. Entre 2018 et 2024, 38 % des producteurs de lait ont quitté le secteur, avec une projection à 50 % en 2027 (Données accessibles via le CASD, Réf. ANR-10-EQPX-17). Cette dynamique s’accompagne d’une concentration des exploitations, avec un développement marqué des fermes de plus de 150 vaches laitières et une intensification par animal. La robotisation permet d’augmenter les volumes de lait produits par unité de travail, compensant la baisse de la main-d’œuvre exploitante.
Lire notre article sur le renouvellement des générations agricoles
Les installations restent stables jusqu’en 2022, avec un pic historique des femmes installées avant 40 ans, mais chutent en 2023-2024, notamment en Bretagne. Plusieurs hypothèses expliquent ce phénomène : report des projets en attente des nouvelles politiques régionales, ou substitution progressive des éleveurs par des robots et salariés, marquant une transformation majeure de l’organisation du travail. Les femmes rencontrent des freins spécifiques à l’installation, économiques (accès au crédit, confiance des bailleurs) et socioculturels (transmission traditionnelle au fils). Leur installation est souvent plus tardive et moins soutenue par les aides. Les collectifs féminins se distinguent par une organisation du travail innovante, avec une complémentarité des tâches et une forte autonomie.
Enjeux environnementaux : vers une filière laitière plus durable
Face aux défis du changement climatique, la filière laitière européenne s’est engagée dans plusieurs projets ambitieux visant à réduire son empreinte carbone. Des programmes tels que Dairy-4-Future (porté par un consortium de 11 partenaires européens dont l’Institut de l’Élevage), ClieNFarms (coordonné par l’INRAE et réunissant 33 partenaires européens), PATHWAYS (coordonné par la Swedish University of Agricultural Sciences) et Carbon Farming (initié par la Commission européenne via divers consortiums dans le cadre du programme LIFE) développent des solutions pour améliorer l’efficience et la durabilité des systèmes d’élevage.
Parmi les innovations, les compléments alimentaires jouent un rôle prometteur dans la réduction des émissions de méthane entérique : les inhibiteurs comme le 3-NOP et les nitrates de calcium, peuvent réduire les émissions de 15 à 40 % sans altérer les performances zootechniques. D’autres substances comme l’Asparagopsis ou certains extraits de plantes offrent des réductions plus modestes, avec des effets encore à confirmer. Les grands groupes laitiers affichent des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, visant jusqu’à 50 % de baisse pour Nestlé en France d’ici 2050, avec des dispositifs d’accompagnement, d’investissement et de labellisation.
Adaptation au changement climatique : innovations en élevage laitier
L’adaptation au changement climatique constitue aujourd’hui un axe central de l’évolution des exploitations laitières. Face à la multiplication des épisodes de chaleur, de sécheresse ou d’aléas climatiques, les éleveurs investissent dans des bâtiments mieux conçus pour garantir le confort et la santé des animaux : ventilation naturelle optimisée, gestion de la lumière et de l’humidité, accès facilité à l’eau et à une alimentation de qualité sont devenus des priorités, tandis que l’outil BRIC (Bâtiments : Raisonner ses Investissements et ses Coûts) permet de raisonner efficacement les investissements nécessaires à la construction ou à la rénovation.
En parallèle, la sélection génétique s’impose comme un levier durable : des programmes de recherche européens et français, comme CAICalor et Rumigen, visent à identifier et diffuser des animaux plus résistants au stress thermique, capables de maintenir de bonnes performances et une fertilité satisfaisante malgré les conditions climatiques changeantes.
Pour accompagner ces évolutions, les éleveurs et leurs conseillers disposent aussi d’outils numériques et méthodologiques innovants, tels qu’ACLIMEL ou ClimAléas Diag, qui facilitent l’analyse des vulnérabilités, la gestion des ressources fourragères et la planification de stratégies d’adaptation sur mesure. L’ensemble de ces démarches, qu’elles soient architecturales, génétiques ou organisationnelles, contribue à renforcer la résilience et la durabilité des systèmes laitiers, tout en maintenant la performance économique et le bien-être animal au cœur des priorités.
L’intelligence artificielle : un levier d’innovation majeur
L’intelligence artificielle (IA) transforme profondément la filière laitière grâce à ses applications prédictives et génératives. Les outils prédictifs basés sur des capteurs ou systèmes de monitoring permettent une détection précoce de problèmes tels que la mammite ou la boiterie avec une précision allant jusqu’à 85 %. En reproduction animale, l’IA peut analyser les données pour détecter l’œstrus ou prévoir le vêlage avec une fiabilité croissante.
L’IA générative offre quant à elle un potentiel révolutionnaire dans le conseil agricole : synthèse rapide d’informations complexes, simulation de scénarios adaptés aux exploitations… Ces technologies posent toutefois des défis éthiques (fiabilité des données) et environnementaux (empreinte carbone). L’IA ne remplace pas le savoir-faire humain mais l’amplifie, offrant aux conseillers des capacités augmentées. Le défi est d’encadrer son usage pour préserver la relation terrain et la pertinence des décisions.
Vers une filière laitière plus innovante et durable grâce aux synergies avec l'AgriTech
La conférence Grand Angle Lait 2025 a mis en lumière une filière confrontée à des défis majeurs mais riche en opportunités d’innovation. Les transformations technologiques (robotisation, IA) et les démarches environnementales offrent un cadre propice pour développer des solutions adaptées aux besoins actuels des éleveurs. Pour Fermes Leader, ces enseignements constituent une base solide pour envisager de nouvelles collaborations avec les acteurs du secteur laitier souhaitant tester ou déployer des technologies innovantes sur le terrain. Nous restons ouverts à toute initiative ou projet visant à renforcer ces synergies entre innovation, AgriTech et élevage !