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Pourquoi mesurer la biodiversité agricole est essentiel pour la transition agroécologique
La biodiversité constitue un pilier essentiel de nos agro-écosystèmes. La Convention sur la diversité biologique, signée lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, la définit comme :
« la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, et les complexes écologiques qui en font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes. »
Dans le monde agricole, cette biodiversité rend d’innombrables services écosystémiques : pollinisation, fertilité des sols, contrôle des ravageurs, régulation de l’eau et du climat local, ou encore maintien de la structure des paysages.
Par exemple, la pollinisation animale est indispensable pour environ un tiers de la production mondiale de cultures destinées directement à l’alimentation humaine. Elle contribue aussi de manière déterminante à la qualité et à la résilience des rendements agricoles (INRAE).
Les filières agricoles sont donc fortement dépendantes de cette biodiversité. Sans pollinisateurs sauvages, sans vie microbienne active dans les sols, sans habitats favorables aux auxiliaires de culture, les rendements, la qualité et la durabilité des productions se fragilisent.
Or, la biodiversité s’érode à un rythme sans précédent. Selon l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services), près de 75 % de la surface terrestre est aujourd’hui altérée à un degré modéré ou élevé par les changements d’usage des terres, la pollution, les espèces invasives ou le changement climatique. Cette dégradation menace directement les services écosystémiques dont dépend l’agriculture mondiale.
Face à ces constats, les politiques publiques et les initiatives volontaires se multiplient pour préserver et restaurer la biodiversité. En France comme en Europe, les stratégies biodiversité, les cadres de reconnaissance des services écosystémiques et leur intégration progressive dans la politique agricole commune marquent une évolution majeure vers une agriculture plus durable.
Pour transformer ces ambitions en actions concrètes, il ne suffit pas seulement de reconnaître l’importance de la biodiversité : encore faut-il savoir la mesurer et la suivre, de manière rigoureuse, continue et à une échelle pertinente. C’est la condition indispensable pour orienter les pratiques agricoles, évaluer les progrès accomplis et valoriser les services rendus par la nature.
Comment mesurer et suivre la biodiversité agricole ?
Méthodes traditionnelles de suivi de la biodiversité : fondements et limites
Historiquement, le suivi de la biodiversité agricole repose sur des observations directes et standardisées sur le terrain. Ces méthodes offrent un socle scientifique robuste pour comprendre l’état et l’évolution des écosystèmes agricoles.
Parmi les approches les plus courantes, on retrouve :
- Les inventaires d’espèces (faune, flore, microfaune du sol) réalisés sur des parcelles agricoles.
- Les transects et relevés de terrain, permettant de mesurer la diversité et l’abondance des espèces sur un itinéraire défini.
- Les pièges et filets (pièges Malaise, cuvettes jaunes, pièges Barber, filets fauchoirs) pour collecter des insectes et évaluer la présence des auxiliaires ou des ravageurs.
- Les observations humaines et protocoles participatifs (ex. Suivi Temporel des Oiseaux Communs, Vigie-Nature du Muséum national d’Histoire naturelle).
- Les analyses en laboratoire.
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C’est pourquoi de nouvelles approches, fondées sur les indicateurs et les technologies de suivi automatisé, viennent aujourd’hui compléter ces méthodes traditionnelles.
Indicateurs de biodiversité agricole : définition, usages et interprétation
Pour adapter les pratiques agricoles et piloter des politiques de préservation, il est nécessaire de traduire la complexité du vivant en informations quantifiables. C’est tout le rôle des indicateurs de biodiversité.
Un indicateur est une mesure synthétique qui reflète l’état, la tendance ou les pressions exercées sur la biodiversité. Il peut être direct, lorsqu’il mesure la diversité ou l’abondance d’espèces (nombre de pollinisateurs, diversité floristique, taux de vers de terre) ou indirect (ou proxy), lorsqu’il évalue un paramètre lié à la biodiversité, comme la diversité des assolements, la longueur des haies ou la part des surfaces non productives dans une exploitation.
Le projet CASDAR APPRIVOISE (porté par ARVALIS, avec l’appui de nos filiales-sœurs Agrosolutions et Smag) travaille justement à sélectionner et tester des indicateurs robustes et reproductibles, adaptés aux grandes cultures françaises. Ces indicateurs permettent d’intégrer la biodiversité dans les démarches de conseil et d’évaluation agroécologique.
Le projet CASDAR COCOBEES, piloté par Fermes Leader, s’attache également à suivre les pollinisateurs et à construire un indicateur de qualité des pratiques agricoles à partir de données de terrain issues des ruches et des habitats mellifères.
Projet CocoBees
En savoir plus sur le projet
Les indicateurs constituent donc une passerelle entre les observations écologiques et la décision agronomique. Ils permettent de suivre les évolutions, de comparer les pratiques et d’alimenter les politiques de transition agroécologique.
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AgriTech et biodiversité : technologies émergentes pour un suivi automatisé
L’émergence de l’AgTech transforme profondément les méthodes de suivi. Ces innovations technologiques permettent d’étendre la couverture spatiale et temporelle, d’automatiser la collecte et de diversifier les types de données recueillies.
Parmi ces innovations, on distingue plusieurs grandes familles :
- Capteurs acoustiques
Ils enregistrent les sons produits par la faune (oiseaux, chauves-souris, insectes) et permettent, via des algorithmes d’intelligence artificielle, d’identifier les espèces présentes et d’en déduire des indicateurs de richesse spécifique. Des programmes de recherche de l’INRAE et du CNRS utilisent déjà ces approches pour le suivi des pollinisateurs sauvages et des communautés d’oiseaux agricoles.
- Capteurs chimiques (ADN environnemental – eDNA)
Cette technique repose sur la collecte de traces d’ADN dans l’environnement (eau, air, sol) afin d’identifier les espèces présentes sans les observer directement. L’eDNA permet un suivi discret et non invasif.
- Capteurs optiques, LiDAR et télédétection
La télédétection (images satellites, drones, capteurs hyperspectraux, LiDAR) fournit une vision d’ensemble des habitats agricoles : continuité des haies, diversité des cultures, couverture végétale, structure paysagère. L’ADEME et le CNES soutiennent plusieurs programmes explorant ces approches pour relier structure des paysages et biodiversité fonctionnelle.
- Données connectées et plateformes d’intégration
L’association de capteurs connectés, de drones et de plateformes cloud permet de collecter, croiser et visualiser des données issues du terrain en temps réel. Ces systèmes facilitent l’analyse spatiale et temporelle et ouvrent la voie à un suivi quasi continu de la biodiversité agricole.
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Comparatif des méthodes de suivi de la biodiversité agricole
Synthèse | ||||||||||||||||
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Perspectives : vers un suivi automatisé et à grande échelle de la biodiversité agricole
Le suivi de la biodiversité agricole est aujourd’hui à un tournant. L’un des grands objectifs est de parvenir à une automatisation complète du suivi, capable d’observer en continu et à large échelle les composantes essentielles de la biodiversité et les services écosystémiques qu’elles rendent. Cependant, plusieurs défis demeurent. Il est nécessaire de disposer de jeux de données massifs, fiables et correctement annotés pour entraîner les algorithmes. La complexité environnementale, marquée par la variabilité des espèces, des habitats et de leurs interactions, rend également difficile la modélisation fine des écosystèmes. À cela s’ajoutent les enjeux de maintenance et de coût des capteurs et réseaux, ainsi que la mobilisation de compétences pluridisciplinaires mêlant écologie, agronomie, data science et ingénierie.
L’usage du deep learning pour analyser et interpréter des données issues d’images, de sons ou d’ADN environnemental (eDNA) se développe rapidement. Des travaux récents montrent par exemple le potentiel de la vision par ordinateur pour le suivi automatisé des insectes en milieu agricole, ouvrant la voie à des approches de monitoring plus précises et réactives.
Au-delà de la technologie, un autre enjeu majeur réside dans la mise en place de bases de données partagées et interopérables, ainsi qu’une formation des acteurs de la recherche et du monde agricole. La valorisation des données issues à la fois du terrain, selon les méthodes traditionnelles, et de l’innovation AgTech permet d’améliorer la prise de décision, l’accompagnement des agriculteurs et l’adaptation des pratiques face aux changements globaux.
En définitive, les méthodes d’observation de terrain, les technologies AgTech innovantes et les mécanismes économiques incitatifs se combinent aujourd’hui pour accélérer la transition écologique de l’agriculture.
Valoriser la biodiversité grâce au suivi scientifique : un levier pour financer la transition agricole
Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal rappelle qu’il existe aujourd’hui un déficit de 700 milliards de dollars par an pour protéger et restaurer efficacement la nature au niveau mondial. Mesurer et suivre la biodiversité à l’échelle des exploitations et des paysages agricoles constitue une étape primordiale pour attirer des financements publics et privés.
Le projet Horizon Europe BIO-CAPITAL explore des mécanismes financiers innovants capables de mobiliser les investissements publics et privés en faveur de la biodiversité. Il s’appuie notamment sur l’imagerie satellite afin de suivre et d’évaluer les actions menées sur le terrain. Les paiements pour services environnementaux, les certificats de biodiversité, les mécanismes assurantiels ou encore les obligations vertes figurent parmi les instruments susceptibles de rémunérer les agriculteurs pour leurs efforts de conservation. En savoir plus sur ces approches.
Ces dispositifs créent un lien direct entre le suivi scientifique de la biodiversité et les incitations économiques : les agriculteurs peuvent être rétribués pour les services écosystémiques rendus — pollinisation, régulation biologique, fertilité naturelle — à condition de fournir des indicateurs fiables et vérifiables.
En somme, l’enjeu consiste à transformer une agriculture vulnérable à l’érosion de la biodiversité en un modèle capable d’en tirer parti. En adoptant des pratiques adaptées, en s’appuyant sur un suivi rigoureux et sur les innovations technologiques, il devient possible de faire de la biodiversité un levier de résilience, de durabilité et de performance économique.